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Article - L'Arche
Iran : les implications du réveil islamique
Par Annie Kriegel | 26 juin 2025
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« L’Ayatollah rejette l’entreprise qui avait visé à hisser un pays musulman au rang de pays développé. »

Juin 1979. En pleine révolution islamique, tandis que l’ayatollah Khomeiny prend le pouvoir à Téhéran, Annie Kriegel signe dans L’Arche un article d’une remarquable acuité. Elle y dénonce une contre-modernité fanatique qui désigne d’ores et déjà Israël et les Juifs comme ennemis.

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Revue de l'Arche de juin 1979
S'il puise dans le Coran sa force et sa vitalité, l'Iran des ayatollahs ne laisse pas d'offrir un terrain propice aux intérêts et calculs de l'Union soviétique.
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LOCAl D'UN MOUVEMENT EXTRÉMISTE A TÉHÉRAN Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens... (© copyright : Keler/Dejean - Sygma)
J'avais le mois dernier opposé le vent d'Est qui, au Proche-Orient, souille d'Iran et le vent d'Ouest que souffle le traité de paix israélo-égyptien : des deux lequel l'emportera? Il ne faut pas se faire d'illusion : la réponse n'est pas prochaine et ce nouvel affrontement sera rude. Même si, par bonheur et c'est un acquis essentiel, cet affrontement-là conserve un caractère pacifique et se déroule à tous niveaux et sur tous les plans sauf le plan militaire.
Où en est-on? La confusion persistante en Iran, le chaos économique, le vide ou le trop plein des institutions étatiques ou para-étatiques rivales de caractère civil ou armé autorisent à penser que la crise révolutionnaire aiguë n'est pas encore surmontée et qu'aucune forme stable de pouvoir n'a réussi à prendre son rythme de croisière. Mais en attendant il y a au moins trois choses claires.
La première, c'est que l'intégrisme islamique dont l'ayatollah Khomeiny est l'expression la plus résolue, s'il prend la forme d'une protestation solennelle contre la civilisation occidentale en tant qu'elle est une civilisation étrangère, est en réalité une réaction de rejet de l'entreprise qui avait visé à hisser un pays musulman au rang de pays développé. Entreprise peut-être mal conçue dans son rythme et ses moyens mais qui, n'importe comment, menaçait en profondeur les gigantesques forces de conservation et d'inertie sociales, culturelles et religieuses. Celles-ci viennent de condamner non pas le rythme et les moyens mais l'entreprise elle-même. Les effets risquent à long terme d'être énormes : ce n'est pas seulement en Iran que tous les chantiers s'arrêtent les uns après les autres mais un peu partout, et notamment en Arabie saoudite. Pas pour des raisons économiques ou de financement mais par effet de contamination à partir de l'idée, assez juste d'ailleurs, que l'industrialisation est un redoutable facteur de déstabilisation sociale et politique.

Manipulations cléricales

Le malheur, c'est que, quelles que soient les souffrances initiales qu'elle entraîne et même si elle n'est pas aussi bien conduite qu'il serait souhaitable, l'industrialisation est la seule réponse connue pour donner du travail et du pain à des peuples en pleine expansion démographique. Tout l'Occident, y compris la France quoi qu'on dise, est donc fondé à s'inquiéter des événements iraniens, pas seulement par cynisme et parce qu'ils mettent dans l'immédiat en cause son ravitaillement en pétrole ou des commandes pour ses industries, mais parce qu'ils annoncent à terme un nouvel approfondissement du fossé qui sépare redoutablement la petite phalange des pays développés et l'immense nappe humaine où règnent la misère et la faim. La seconde chose claire, c'est que cette réaction fondamentale de rejet se traduit sur le plan politique par un retour brutal à la situation qui prévalait également dans l'Occident chrétien au haut Moyen Age: la domination sans partage des hommes d'Église seuls habilités à dire un droit qui n'est plus que la transcription littérale et abusive de la loi religieuse. La perte totale d'indépendance ou du moins d'autonomie de l'État et de la société civile par rapport aux commandements religieux, c'est exactement ce qui a engendré la tache sanglante qui fait aujourd'hui horreur à l'Église catholique elle-même : l'Inquisition. Aussi ne doit-on pas entretenir d'illusions complaisantes : le réveil de l'Islam est certes un réveil religieux, un retour à la ferveur mais c'est hélas un réveil dès le départ manipulé et perverti par une institution cléricale dont les objectifs proclamés rappellent les heures les plus sombres par exemple de la guerre des Albigeois, quand le cri d'un évêque c'était : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »
Le XX° siècle, ce siècle de tant d'horreurs, après avoir été le siècle de la Gestapo et de la Guepeou, ces Inquisitions d'États totalitaires, aura finalement réussi à ressusciter l'Inquisition dans sa pureté initiale : l'Inquisition non plus au nom du Führer ou du Parti mais l'Inquisition au nom de Dieu. Comment s'étonner qu'on revoie donc une fois de plus les scènes atroces qui ont jalonné les rapports de toutes les Inquisitions avec les juifs : d'un côté, l'exécution d'un notable de la communauté juive d'Iran accusé de « trahison à cause de ses liens avec le sionisme et Israël », de l'autre une délégation d'autres notables sombrant, pour sauver leur tête ou leurs biens, dans l'indignité de l'abjuration aux pieds de ce sinistre vieillard de Qom. La troisième chose claire, c'est que la réaction islamique, si elle ne puise qu'en elle-même sa force et sa vitalité, constitue dans le domaine extérieur et aussi paradoxal que ce soit, une carte très bénéfique aux intérêts et calculs de l'Union soviétique. Pendant que l'attention de l'Occident se concentre sur les péripéties iraniennes, se poursuit à l'abri de cet écran une entreprise impitoyable de conquête et de domination soviétique directe de l'Afghanistan dont la position stratégique a toujours excité les convoitises soit de la Russie soit de la Grande-Bretagne. Par-delà cette ambition proprement territoriale, l'Union soviétique, se réjouit de ce que le « modèle iranien », peu même s'il est dans son essence radicalement anticommuniste et s'oppose au « modèle soviétique » stricto sensu, est en même temps un modèle qui, condamnant le monde arabe et islamique à la régression sur toute la ligne, le conduira inéluctablement à rechercher, après avoir abandonné la tentative de relever le « défi occidental» de la modernité, l'assistance soviétique. Enfin dans l'immédiat et là aussi sans que les Soviétiques aient besoin de positivement intervenir, le « modèle iranien » se présente comme une solution de rechange bienvenue à la solution qu'esquisse le traité israélo-égyptien et que le souverain marocain avait un jour défini lucidement: la transformation du Proche-Orient en zone de paix que féconderaient les génies conjoints du judaïsme et de l'Islam attelés ensemble à l'œuvre gigantesque d'un réveil qui, lui, serait nécessairement industriel, scientifique et libéral même s'il demeure intensément attaché à la racine religieuse.
ANNIE KRIEGEL
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