L'Arche
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Article - L'Arche
Papon : après le procès, le débat
Par Pierre Birnbaum | 01 mai 1998
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Revue de l'Arche de mai 1998
Maurice Papon n'est donc pas coupable de « complicité d'assassinat ». Peu importe la peine puisqu'à Nuremberg également, les peines les plus diverses ont été énoncées. Ce qui choque, c'est le motif retenu : « complicité d'arrestations et de séquestrations ». Ainsi, ce « préfet- bis », ce responsable du service des questions juives, celui-là même qui veillait à l'élaboration et à la réactualisation des fichiers, à l'organisation des trains, qui distinguait soigneusement les Juifs « intéressants » de ceux qui ne l'étaient pas à ses yeux, qui savait qu'un « sort cruel » attendait ceux qui partaient vers Drancy et ensuite, Auschwitz, qui envoyait la police rechercher les enfants provisoirement sauvés, placés dans des familles, n'est donc responsable que d'« arrestations et de séquestrations », dimensions pourtant inhérentes à la définition de crimes contre l'humanité. À travers lui, c'est Vichy qui reprend presque une certaine légitimité, car, haut fonctionnaire d'un régime ayant instauré volontairement une collaboration active avec les nazis, il symbolise à lui seul, quel que soit son rang dans l'administration, la trahison des Juifs par l'Etat républicain devenu insensiblement autoritaire et antisémite.
Lorsque, apprenant cette sentence qui lui semble encore trop dure, son avocat, M. Varaut, qui adhère lui-même à des valeurs plus que réactionnaires, s'exclame : « Il ne faut pas confondre un serviteur de l'État avec le milicien Paul Touvier ou le nazi Klaus Barbie », on ne peut que l'approuver. II entend pourtant, à travers cette remarque, exonérer le fonctionnaire Papon en le comparant aux sanguinaires acteurs de la traque aux Juifs, au milicien et au tortionnaire hitlérien. En réalité, le cas Papon est plus décisif que ceux de Touvier et de Barbie, car il engage seul la responsabilité de l'Etat, de la fonction publique, des grands corps qui ont accompagné, en techniciens zélés et efficaces, l'exclusion des Juifs de l'espace public et leur déportation.
Le « crime de bureau » dont l'existence est difficile à réfuter, accompli au nom de l'Etat, est infiniment plus grave aux yeux du devenir de la nation, de l'Etat, de la citoyenneté. Ne pas le proclamer, ne pas le retenir, c'est atténuer grandement la responsabilité de Vichy, c'est entrer dans un processus justifiant, comme dans les années cinquante, la thèse, que l'on pensait abandonnée, du « bouclier ». C'est renvoyer au silence les quelques hauts fonctionnaires au rôle identique à celui de Papon qui ont osé, eux, pour venir au secours d'enfants juifs, aller à l'encontre des ordres d'un Etat devenu illégitime. C'est dévaluer le courage fondé sur l'éthique au profit du strict exercice de la fonction. Bien sûr, les commentateurs ont raison de souligner que ce verdict condamnant Maurice Papon est le premier qui désigne ainsi clairement le rôle de l'Etat, touche un haut fonctionnaire et, définitivement peut-être, affirme explicitement que pour être haut fonctionnaire, on n'en demeure pas moins responsable de ses actes. Il n'en donne pas moins insuffisamment la mesure de ce que Claude Lanzmann considère comme l'équivalent français d'un«criminel de bureau » qu'il compare à certains participants allemands de la Shoah.
Dans son ultime intervention, Maurice Papon ose à nouveau se comparer au malheureux capitaine Dreyfus pour clamer sa propre innocence ; sa condamnation sera donc elle aussi « un boulet » que « la France traîne dans son histoire ». Ne reculant devant rien, il se voit aussi en Isaac que s'apprête à sacrifier un Abraham incarnant la France et qui sait arrêter à temps son geste, espérant que nulle sentence ne s'abattra sur lui... Lui qui s'est montré entièrement dépourvu de tout sens de l'éthique, qui, en dehors de toute humanité, de toute conscience du juste et de l'injuste, s'est contenté d'obéir efficacement à sa hiérarchie administrative pour commettre, au nom de la France, l'irréparable.
Peu importe à nouveau la peine. Les Juifs de France ne peuvent que voir le sens de leur propre histoire dénié par ce rappel de la carrière de Maurice Papon, préfet de police de Paris sous de Gaulle, ministre de Giscard, par ce soutien dont il a si longtemps bénéficié auprès des sommets de l'Etat républicain, par le cruel constat qui frappe brutalement à travers sa propre histoire, à savoir qu'aucun haut fonctionnaire de Vichy n'a été épuré au motif de sa participation à la déportation des Juifs. Papon est condamné et ce n'est que justice, réparation, retrouvailles entre les Juifs et l'Etat. Un goût amer n'en subsiste pas moins que rien n'efface.
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