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Yitzhak Rabin : vers un examen de conscience ?

Par Menahem Friedmann, Nissan Rubin | 06 novembre 2025

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Il y a 30 ans, Yitzhak Rabin était assassiné à Tel-Aviv par un extrémiste israélien.

Deux professeurs de l’université Bar-Ilan, où étudiait l’assassin, reconnaissaient alors une part de responsabilité morale. Ils dénonçaient le glissement d’un certain discours religieux-national : l’usage de concepts halakhiques comme rodef (« persécuteur ») ou memshelet zadon (« gouvernement scélérat ») avait contribué à justifier la violence politique. « Nous aurions dû le voir, nous aurions dû le dire », écrivaient-ils.

L'assassinat d'ltzhak Rabin, par un jeune homme se réclamant à la fois de la stricte pratique religieuse et de l'opposition nationaliste, a suscité chez certains membres des milieux religieux ou de droite un « examen de conscience n qui, sans les conduire à renier les principes de leurs engagements, les fait s'interroger sur leur part de responsabilité. Voici les premières expressions de cette remise en question, telles qu'elles ont paru dans la presse israélienne au cours de la traditionnelle semaine de deuil. Il faut cependant remarquer qu'à ce jour il ne s'agit là que de manifestations minoritaires, et qu'elles ont parfois été vivement dénoncées par des dirigeants et des militants de ces mêmes milieux.

Nos mains n'ont-elles pas versé de sang ?

Les professeurs Menahem Friedmann et Nissan Rubin enseignent à l'université religieuse Bar-Ilan.
Depuis l'assassinat du chef du gouvernement, Itzhak Rabin, par un étudiant de notre université, nous, enseignants de cette université - que nous ayons connu l'assassin ou pas -, portons une certaine part de responsabilité. Nous sommes responsables, non pas seulement parce que nous enseignons à Bar-Ilan, mais aussi parce que nous relevons de cette partie du peuple qui se considère comme investie de la tradition juive séculaire. Tous, nous éprouvons de très forts sentiments de culpabilité et de honte. Mais ces sentiments sont infiniment plus lourds à porter pour nous, en tant que membres du corps enseignant de l'Université Bar-Ilan. Est-ce que cet aveu public de nos péchés, de nos fautes et de nos crimes suffira à nous délivrer de cette responsabilité ? Il nous semble que non.
Il est évidemment interdit d'accuser un groupe entier à cause des actions d'un individu isolé. Il ne faut pas oublier qu'au sein de ce groupe on trouve le meilleur de notre jeunesse. Une jeunesse animée du désir de servir la société de toutes ses forces et de toute son âme. A cette jeunesse nous ne pouvons rien reprocher. C'est à nous-mêmes que nous devons faire des reproches.
En tant qu'universitaires religieux enseignant à Bar-Ilan, nous devons nous demander si nous avons été vraiment surpris. N'avons-nous pas vu de nos yeux comment, au sein de certaines composantes de la société religieuse où nous vivons et dont nous sommes partie intégrante, la définition religieuse qui est donnée de la réalité politique a subi d'importantes transformations ? N'avons-nous pas vu comment on a recouru à des concepts religieux (memshelet zadon, « gouvernement scélérat »), des concepts auxquels l'histoire et la Loi juive ont conféré une charge très lourde (rodef, « persécuteur »), et que l'utilisation de tels concepts, délicats et dangereux, est de nature à justifier - sans que telle ait été l'intention première- cet assassinat ?
Ceux qui, comme nous, ont suivi semaine après semaine le discours religieux-national, tel qu'il s'exprime principalement à travers les nombreuses publications diffusées dans les synagogues, les internats religieux et les yéshivot, auraient dû être sensibles aux transformations qui s'y sont opérées et dont la signification, même implicite et inconsciente, était d'autoriser le meurtre du chef du gouvernement Itzhak Rabin ainsi que des personnes qui partagent sa politique.
Nous aurions dû le voir, nous aurions dû le faire savoir. Telle était notre responsabilité, et nous ne l'avons pas assumée. Pourquoi ? Parce que nous étions prisonniers d'une image préconçue. Nous ne pouvions pas imaginer que de notre camp sortirait un assassin, qu'un « bon garçon », brillant étudiant de notre université, se servirait de la foi d'Israël et de la Loi juive pour justifier le meurtre du chef du gouvernement élu de l' Etat d'Israël.
« Après la mort de l'un des membres du groupe, tous les membres du groupe doivent s'inquiéter. » Après l'assassinat du chef du gouvernement d'Israël par un des membres de notre groupe, nous devons tous nous inquiéter.
Nous devons nous examiner nous-même, pour voir quelle est notre part de culpabilité. Nous ne devons pas seulement expier nos fautes envers le peuple d'Israël ; nous devons d'abord et surtout demander notre pardon au Saint Béni Soit-Il, parce qu'un criminel issu de notre groupe - l'un des nôtres - s'est servi de sa sainte Loi pour justifier son action. Nous ne pouvons pas dire, la conscience sereine, que « nos mains n'ont pas versé ce sang ».
Extraits d'un article publié dans Haaretz
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